LE conseil constitutionnel vient d’abroger la loi sur le harcèlement sexuel, dont il a jugé la formulation trop floue. Il crée ainsi un vide juridique, un abîme terrible pour de nombreuses victimes. Sur le ressort du parquet de Laon, deux affaires sont en cours confirme Olivier Hussenet, procureur. Maître Anthony Contant intervient comme partie civile dans l’une d’entre elles. Cette affaire est programmée à l’audience correctionnelle de Laon le 21 juin prochain. « Ma cliente a porté plainte, il y a près de deux mois », explique l’avocat. Cette femme accuse son employeur, un artisan du Ternois, de lui envoyer des nombreux messages de nature sexuelle. Malgré a priori ses demandes pour qu’il arrête, « il profite de son ascendant professionnel ». Maître Contant explique que sa cliente l’a appelé le lendemain de la décision du conseil constitutionnel sans savoir. « C’est moi qui ai dû lui dire qu’une loi votée il y a dix ans avait été annulée. Elle ne pouvait évidemment pas comprendre. Elle était dans une rage folle. » Ce type de décision estime-t-il ne va pas faciliter les rapports des justiciables avec la justice. D’autant qu’elle risque de bénéficier à des harceleurs présumés, des personnes souvent plutôt établies, puisque profitant de leur ascendant. Il y a évidemment toujours la possibilité de requalifier les faits, mais cela reste délicat. Retenir le harcèlement moral, c’est s’exposer à ce qui vient d’arriver à Épinal. Le tribunal a suspendu une procédure après que l’avocat d’un chef d’entreprise ait déposé une question prioritaire de constitutionnalité, qui affirme que le harcèlement moral, comme le harcèlement sexuel, est un délit trop imprécis. Et l’accusation d’agression sexuelle peut-elle tenir ? « Si le parquet a décidé de qualifier les faits d’une telle façon, c’est qu’il y a une raison. Si on les requalifie, la défense peut très bien s’engouffrer dans la brèche », précise-t-il. C’est une situation inédite pour le procureur qui a pourtant une longue expérience. Il évoque la seconde affaire prévue en plaider coupable. « Evidemment, cette première audience n’aboutira pas. » Il y aura la comparution à la barre classique du tribunal, « mais est-ce que regarder de façon trop insistante dans le décolleté d’une collaboratrice est une agression sexuelle ? D’une manière générale, le harcèlement est de toute façon très difficile à définir. » C’est au législateur qu’il appartiendra de trouver la bonne formule. En attendant, les victimes, elles, sont un peu abandonnées. Et même en cas d’une nouvelle loi, il n’y a que les faits ultérieurs à cette nouvelle qui pourront être pris en compte.
Yann LE BLÉVEC