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08/2012 : Harcèlement sexuel : l’hôpital à l’écoute

Depuis le mois de juin, le service de psychiatrie de Saint-Antoine, à Paris, propose un accompagnement spécifique pour les femmes harcelées. Une première en France. 61 victimes ont déjà été accueillies.

« J’ai été victime de harcèlement sexuel. » Fatoumata (1), 33 ans, assistante de direction, n’en revient pas. Elle répète les mots et détache les syllabes comme pour s’en convaincre. « Deux années d’enfer » qui ne passent pas, restent coincées là, dit-elle en se frappant du poing sur la poitrine. Alors, Fatoumata a composé le 0800 00 46 41, un numéro vert trouvé cet été dans la presse. Elle a appelé, comme on jette une bouteille à la mer. « J’ai tout raconté en pleurant pendant une heure », se souvient-elle. Au bout du fil, elle a trouvé Josiane, installée dans un petit bureau au cinquième étage de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris (XIIe). C’est avec elle que tout a commencé. Josiane écoute ces récits de vie qui n’en peuvent plus de rester enfouis. Elle prend des notes, encourage, console et propose, éventuellement, un rendez-vous.

SOS Harcèlement sexuel n’est pas un simple service d’écoute et de soutien téléphonique. C’est l’accueil de l’unique consultation hospitalière destinée aux victimes de harcèlement sexuel en France. Depuis son ouverture début juin, 35 professionnels - psychiatres, psychologues et infirmiers - y collaborent, recevant à Saint-Antoine ou à l’hôpital Tenon, dans le XXe arrondissement de la capitale. « Les femmes qui ont subi de telles agressions sont en grande détresse. Il était essentiel qu’une consultation leur soit dédiée », explique la militante féministe Lydia Guirous, 27 ans, à l’origine du projet. Selon elle, la focalisation du débat public autour du projet de loi, adopté le 31 juillet et qui prévoit des peines de prison pour les harceleurs, masque l’enjeu de la santé psychologique des victimes : « Quelle que soit la qualité de ce nouveau texte, un procès demeure un parcours d’obstacles. Il faut être solide pour l’affronter », affirme Lydia Guirous. Une femme sur deux est harcelée au cours de sa vie. Leur prise en charge est donc « un enjeu de santé publique qui doit relever de l’hôpital », assène-t-elle, travaillant d’arrache-pied pour que le dispositif parisien soit étendu à d’autres villes françaises. Dans son agenda : un rendez-vous avec un hôpital marseillais et un autre avec la direction de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). « Cent fois par jour »

La consultation parisienne a déjà reçu 89 appels depuis son ouverture il y a deux mois et accueilli 61 personnes. « Ces patientes ont besoin d’une offre de soins spécifique parce que le harcèlement provoque un traumatisme particulier. Un médecin généraliste n’est pas toujours formé pour écouter ces expériences lourdes et difficiles », relève le professeur Charles Peretti, chef du service de psychiatrie à Saint-Antoine. Conscient de la faiblesse de la prise en charge des victimes en France, il a souhaité accueillir le projet pilote. « Le harcèlement sexuel, souligne-t-il, peut générer une pathologie grave. Les femmes qui passent dans le service décrivent souvent les mêmes troubles : perte de l’estime de soi, honte, anxiété, troubles du sommeil et de la libido, dépression. »

Après l’échange téléphonique avec Josiane - qui a « un vrai talent d’accoucheuse de mots », relève le professeur Peretti -, un premier rendez-vous est proposé, dans les quarante-huit heures. Ici, on ne sous-estime pas l’urgence de la demande, les risques de suicide. Le premier entretien permet d’évaluer la gravité du problème, mais aussi de saisir les capacités de verbalisation de la victime. Selon les cas, elle se voit orientée vers une psychothérapie, une analyse ou encore une thérapie cognitive. Quel que soit le chemin emprunté, le soignant est là pour aider la victime à se reconnaître comme telle et à lui permettre de se débarrasser du secret qu’elle s’est imposé sous la pression du tabou social que représentent encore le harcèlement et les agressions sexuelles. Selon l’Observatoire des violences faites aux femmes, seules 10% des victimes portent plainte.

La consultation est gratuite, une assistante sociale est à disposition : « Plus on est économiquement vulnérable, plus on est à la merci du harcèlement qui, de surcroît, accentue bien souvent la précarité économique », rappelle Lydia Guirous. « Je suis au chômage depuis un an, mais je n’ai toujours pas envoyé une seule lettre de motivation, se désole Fatoumata. J’ai le sentiment que ce que j’ai subi est lié à la nature même de mon métier d’assistante de direction. Je suis très angoissée à l’idée de me retrouver la petite main d’un chef qui peut s’imaginer qu’il a des droits sur moi. »

Fatoumata était salariée d’une municipalité (de gauche), travaillait en pleine terre bobo avec des acteurs de la vie culturelle. « Ce n’est pas la gravité des actes qui m’a fait sombrer, mais leur répétition », raconte-t-elle. Entre la jeune femme et son chef, il y avait une porte. Elle s’ouvrait « cent fois par jour », se souvient-t-elle. « A chaque fois, une proposition graveleuse, une allusion à ma carrière qui allait stagner si je ne cédais pas, une remarque sur mes vêtements… » En quelques mois, elle sombre dans la dépression. « Il était très étonné que je ne cède pas : les femmes noires sont pourtant faciles, m’a-t-il dit un jour. »

A l’époque, Fatoumata était en instance de divorce et son chef connaissait sa future précarité financière. Une aubaine pour un supérieur hiérarchique qui disait pouvoir pérenniser le CDD de son employée, à condition que celle-ci se montre « gentille ». Les entretiens avec un psy du service ont permis à Fatoumata d’entrevoir les faiblesses sur lesquelles a joué son harceleur, les échos de son histoire intime. « Avec mon chef, j’étais redevenue une petite fille », analyse-t-elle après quelques séances de thérapie. Culpabilité, honte, dissimulation… Elle raconte son père « tyrannique et autoritaire » qui lui a imposé le port du voile pour ses 10 ans. « Je suis jolie, j’aime les fringues et les couleurs voyantes… Pour mon harceleur, c’était forcément une invitation. Faut-il que je m’habille en nonne ? » Fatoumata n’a pas renoncé à ses décolletés. « Je veux parler et comprendre ce qui m’est arrivé, explique-t-elle. Le psy m’aide à regagner confiance en moi. Je sais que je dois réaliser que c’est le harceleur qui est en tort, pas moi. » Précarité et dépression

« La plupart des femmes qui viennent nous voir ont une image d’elles profondément dégradée », explique le professeur Peretti. La restauration de l’estime de soi est le chantier prioritaire des médecins et psychologues du service. Margot, 40 ans, victime de harcèlement sexuel au travail, confirme : « On se sent diminuée, salie. On s’interroge sans cesse. Pourquoi j’ai laissé faire ? Pourquoi je ne lui ai pas mis une gifle ? Pourquoi la peur de perdre son boulot a-t-elle primé sur le reste ? » Un an après les faits, elle a du mal à soutenir un regard masculin et se dit incapable de passer un entretien d’embauche avec un homme.

Margot était vendeuse dans un magasin de luxe, à Paris. Elle est aujourd’hui au chômage et sans logement, hébergée par une amie. D’une voix fluette, cet ancien top-model raconte un calvaire de deux ans qui l’a plongée dans la précarité et la dépression. Le patron du magasin qui l’employait alors régnait en roitelet sur quatre vendeuses : faveurs sexuelles quotidiennes contre petits cadeaux. Mais Margot ne cédait pas. « Il me mettait des mains aux fesses et à la poitrine ou se collait contre moi. » Et puis il y a eu ces convocations dans l’arrière-boutique. « Quand j’entrais, l’une des vendeuses passait sous le bureau pour faire une fellation au patron. Il me demandait de venir lui tenir la main. » Après le boulot, la nuit, le téléphone sonnait. A l’autre bout du fil, le patron qui recevait une fellation…

Margot s’arrête, reprend son souffle, raconte enfin les menaces physiques et les intimidations. Une action judiciaire est en cours. Si elle aboutit, son patron aura à répondre de harcèlement, d’agression sexuelle et d’appels téléphoniques malveillants. Margot attend beaucoup du procès, mais le simple fait de partager son expérience et de sortir de l’isolement l’a déjà beaucoup aidée. « Depuis que j’ai parlé de cette histoire au psy et à mon avocat, j’ai l’impression de revenir dans le monde réel. Tant qu’on ne dit rien, on a le sentiment de porter en soi les raisons qui font de nous une victime. » « Céder n’est pas consentir »

« Je ne suis qu’un bout de viande », lâche d’emblée Sophie, 55 ans, lors de son premier entretien avec le psy. Son histoire est celle d’un voisinage qui tourne au vinaigre faute de mettre des mots sur les choses. Dans un modeste quartier résidentiel des Hauts-de-Seine, les pavillons se jouxtent. Deux couples vivent côte à côte. On s’interpelle au-dessus de la haie, on s’invite, on se rend service. Et tout dérape. « Quand mon mari est décédé, mon voisin est devenu de plus en plus pressant, se souvient Sophie, aujourd’hui bénéficiaire du RSA. Je croyais d’abord qu’il voulait m’aider à faire mon deuil. Il sonnait chez moi dès que sa femme avait le dos tourné pour des motifs bidons. Il entrait, me touchait sans que je le veuille. » Sophie, « paumée », « un peu dépressive », a cédé deux fois à ses avances quotidiennes. Elle se mord les lèvres en le racontant, se sert des mots du professeur Perreti comme d’un baume : « Céder n’est pas consentir. »

Après trois rendez-vous, l’équipe a diagnostiqué une dépression et prescrit un traitement. « Pas mon truc », élude Sophie, qui préfère rejoindre un groupe de parole plutôt que de poursuivre les entretiens avec le psy. Les trois séances lui ont permis de ne plus se sentir « honteuse », et de faire un progrès radical, « trouver les mots » : « J’ai enfin pu dire en face à mon voisin que j’en avais assez de ses avances répétées, que je n’en avais pas envie, raconte-t-elle. Il a été très étonné. J’ai réalisé que le harcèlement, c’est ce qu’il appelle de la drague. »

Par RÉMI DOUAT (1) A la demande des patientes, les prénoms ont été modifiés.

Voir en ligne : Source : Libération

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