En Egypte, alors que la victoire des Frères musulmans était déjà certaine, Aliaa el-Mahdy, une toute jeune étudiante, jolie et délicate comme une adolescente, plutôt que de se cacher prudemment sous un voile, choisit de s’afficher nue sur son blog.
Debout, un pied sur un tabouret, elle ne porte aucun autre vêtement que les bas tachetés de pois sombres qui gainent ses jambes. La photo en noir et blanc est étrangement éclaboussée du rouge vif de la fleur dans sa chevelure et de ses chaussures à talons plats. Il n’y a pas de provocation dans son regard, juste une grande tristesse.
Face au harcèlement sexuel dont les femmes sont les victimes, la jeune étudiante a décidé d’utiliser une arme inattendue : la nudité. Aliaa, qui se déclare athée, et n’hésite pas à vivre sans être mariée avec un jeune blogueur, fait cela pour la cause des femmes "qui n’ont pas à avoir honte de leur corps, ni à se cacher, ni à demander pardon d’exister." Se déshabiller volontairement est une façon pour Aliaa de dire "mon corps m’appartient". Une organisation d’étudiants en droit coranique a porté plainte pour "violation morale, incitation à la débauche et offense à l’Islam."
Et que dire de l’offense faite aux femmes ?
Pour témoin, les violences infligées à deux journalistes – la Française Caroline Sinz de France 3 et l’Américano-égyptienne, Mona Eltahawy - agressées sexuellement place Tarhir. Racontant ce moment d’horreur, la première expliquera la façon dont elle s’est trouvée isolée de son cameraman, aux prises avec une horde de mains d’hommes déchainés qui lui ont arraché ses vêtements. La prudence n’aurait-elle pas été de s’abstenir de sortir ou de se fondre dans la masse invisible des femmes voilées ?
Mû par un réflexe pavlovien, Reporters sans frontières, qui depuis s’est repris, commença par conseiller aux rédactions de ne plus envoyer de journalistes femmes couvrir ces événements déclenchant l’indignation des principales intéressées, décidées à poursuivre leur travail sur le terrain.
Faut-il, comme certain(e)s, reprocher à Aliaa son geste désespéré au prétexte qu’il risque de renforcer les préjugés des opposants à la libération des femmes ? Ou, au contraire, reconnaître qu’il est des moments où se protéger en devenant invisible est non seulement inefficace mais insupportable ?
D’une nature un peu différente, mais tout aussi radicale, le mouvement ukrainien Femen s’est fait connaître par ses militantes qui manifestent en se dénudant afin dénoncer la prostitution, le tourisme sexuel, ou le harcèlement dont sont victimes les étudiantes des universités en Ukraine. Elles ont fait parler d’elles en manifestant place de Vosges près du domicile de DSK, ou encore en Italie en portant des pancartes fustigeant Silvio Berlusconi, défilant pratiquement nues, peintes de la tête aux pieds aux couleurs italiennes.
Autre phénomène, celui qui s’est baptisé la "marche des salopes" (la "slut walk") et qui s’est déployé dans les rues de Toronto au Canada, le 3 avril dernier, rassemblant 3.000 femmes [2]. Le mot d’ordre avait été lancé sur Facebook par Sony Barnett, graphiste à Toronto indignée par les propos d’un officier de police canadien, Michael Sanguinetti, selon lequel "les femmes ne devraient pas être habillées comme des salopes si elles ne veulent pas être agressées." Manifestant la même colère, des milliers d’autres femmes dans 70 villes du monde avaient défilé en tenues légères, perchées sur des souliers à talons.
Quel peut-être le sens commun à ces transgressions ?
Sans doute une saine et radicale volonté de de-sexualiser son propre corps. Une façon d’affirmer que ne pas porter le voile (là-bas), ou porter une mini-jupe (ici), ne signifie pas que l’on désire être violée.
Sans doute ne fera-t-on pas l’économie un jour d’une réflexion sur le rôle du vêtement et le sens de la séduction entre les sexes. Dans son livre intitulé "Ce que soulève la jupe : identités, transgressions, résistances", l’historienne Christine Bard, souligne la dissymétrie fondamentale qui existe dans ce domaine entre les deux sexes.
Elle rappelle aussi les paroles d’Olympe de Gouges, auteure de la "Déclaration des droits de la femme et des citoyennes", qui avait demandé aux femmes d’"abjurer l’aristocratie de la beauté", alors même que, de leur côté, les hommes avaient abandonné les vêtements chamarrés de la noblesse pour revêtir une sorte d’uniforme utilitaire qui perdure encore aujourd’hui.