Accueil  > Le droit  > Droit français  > Historique du droit français

Historique du droit français sur les VSS

Les violences à l’encontre des femmes ont longtemps bénéficié d’une large tolérance sociale quand elles n’étaient pas proscrites par la loi. C’est notamment pour cette raison que les initiatives des institutions européennes et des organisations féministes s’accordent sur la nécessité de mettre en place des politiques de prévention, mais surtout une législation permettant aux personnes victimes de harcèlement sexuel de les dénoncer et d’obtenir réparation de leur préjudice. Nous allons revenir sur le parcours de la reconnaissance par le droit des violences sexuelles et sexistes faites aux femmes au travail, et notamment le harcèlement sexuel.

Nous devons notamment à l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), créé en 1985, le premier pas vers une loi reconnaissant le harcèlement sexuel. En mai 1990, l’association rédige une proposition de loi et soumet des amendements au projet de réforme du Code pénal qui sera adressée au Secrétariat d’État aux droits des femmes et à une vingtaine de député-e-s, dont Mme Roudy .

a) Loi du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes

La loi du 22 juillet 1992 portant réforme du Code pénal sur la répression des crimes et délits contre les personnes, crée le délit de harcèlement sexuel par l’article 222-33. Cette loi dispose que : « le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 francs d’amende ». Ce texte ne répond pas aux attentes des féministes qui émettent à cette époque des critiques dont la pertinence sera établie par l’usage de ce texte. L’AVFT pointe ainsi :
- qu’il faille prouver un défaut de consentement quand l’inverse (s’assurer du consentement) serait plus juste : les femmes ne sont en effet pas, par nature et a priori, consentantes à l’acte sexuel ;
- le mode opératoire du harceleur dont il reviendra aux magistrats de fixer les contours ;
- l’intentionnalité du harceleur, dont le mobile devrait être indifférent, et qui devrait se déduire des actes à connotations sexuelles refusés et dénoncés ;
- l’abus d’autorité qui d’une part exonère de fait les collègues de bureau et d’autre part conditionne la sanction à l’interprétation que les magistrats feront du mot « abus » ;

b) Loi du 2 novembre 1992 relative à l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail et modifiant le code du travail et le code de procédure pénale

La même année, le Code du travail est modifié par la loi du 2 novembre 1992 « De l’abus de pouvoir sexuel dans les relations de travail » qui intègre les dispositions relatives au harcèlement sexuel aux articles L122.46 et suivants.

Ainsi l’article L. 122-46 :

« Aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement d’un employeur, de son représentant ou de toute personne qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur ce salarié dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers . Aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir témoigné des agissements définis à l’alinéa précédent ou pour les avoir relatés. Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ».

Même si cette loi reste trop restrictive à bien des égards, elle constitue cependant une première en matière de harcèlement sexuel dans le code du travail. Cependant, dans un article portant sur ce projet de loi, Mireille Beynetout, Sylvie Cromer et Marie-Victoire Louis, toutes trois de l’AVFT, introduisent leur propos par « Bien que le projet de loi réformant le Code du travail en matière de harcèlement sexuel puisse apparaître comme une avancée, il est sur le fond insuffisant et juridiquement contestable ». Cette critique porte sur :
- l’approche réductrice du phénomène de harcèlement sexuel

  • terme jamais cité dans la loi
  • qui n’inclut pas les comportements sexistes, plus nombreux, qui ont pour but d’humilier la personne harcelée (et non d’obtenir des faveurs de nature sexuelle).
    - la répréhension des seules conséquences du harcèlement sexuel alors qu’il faudrait condamner toutes les phases qui caractérisent généralement le harcèlement.
    - la condition d’une relation hiérarchique entre harceleurs et harcelées qui protègent de fait les collègues de bureau.
    - l’absence de responsabilité de l’employeur au titre des conditions de travail et une prévention réduite en CHSCT puisque le harcèlement sexuel n’est pas explicitement reconnu en lien direct avec les conditions de travail.

c) Loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs

Les choses restent en l’état de 1993 à 1998 et il faut attendre le 17 juin 1998 pour une première modification législative du code pénal. Celle-ci consiste d’une part en une modification rédactionnelle et d’autre part un mode opératoire complété par la notion de « pressions graves ». Après des débats au Sénat d’une certaine pauvreté , l’article 222-33 est modifié ainsi : « le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 francs d’amende ». Des modifications de pure forme qui ne changent rien pour les victimes et n’harmonisent pas le droit du travail et le droit pénal sur la notion de harcèlement sexuel.

d) Loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Cette loi, dite loi Génisson du nom de la députée auteure de cette proposition, porte essentiellement sur le développement des négociations collectives sur le thème de l’égalité professionnelle. Cependant, l’article 8 de cette loi élargit de manière significative les critères et les conditions d’emploi des victimes potentiels.
Ainsi l’article L.122-46 du Code du travail devient :
« Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement d’un employeur, de son représentant ou de toute personne qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur ce salarié dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers. Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis à l’alinéa précédent ou pour les avoir relatés. Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ».

Dans la même période, Elisabeth Guigou - ministre de l’emploi et des affaires sociales - présente un projet de loi de modernisation sociale.

e) Loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002

Cette loi, connue pour avoir créé le délit de harcèlement moral, modifie d’une part les dispositions relatives au harcèlement sexuel dans le code du travail et d’autre part, la définition pénale du harcèlement sexuel.

L’article L122-46 a connu deux modifications supplémentaires par rapport à la loi Génisson : elle supprime l’exigence d’abus d’autorité (les collègues ne sont donc plus exonérés de responsabilités) et les conditions quand au mode opératoire du harceleur (suppression des termes « ordres, contraintes, menaces, pressions »). En outre, les notions de mesures discriminatoires directes ou indirectes apparaissent, ce qui permet de « considérer ou de prendre en compte des pratiques et procédures qui, de la même façon que la discrimination directe, aboutissent à des désavantages significatifs ou des spoliations pour les membres d’un groupe en raison d’une caractéristique commune de ce groupe au regard de l’ensemble de l’entreprise ou du secteur d’activité ».

L’article L122-46 devient donc : « Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers. Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis à l’alinéa précédent ou pour les avoir relatés. Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ».

Mais suite à la recodification du code du travail en 2008, censée ne rien changer sur le fond, l’article L1153-2 du code du travail devient in fine :

« Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel ». Sans préciser ce qu’est le harcèlement sexuel !

Une autre nouveauté liée cette fois à la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations apparaît au travers de l’article L122-52 [L1154-1] : il s’agit de l’aménagement de la charge de la preuve. Il n’appartient plus au salarié concerné de « présenter » les faits mais seulement d’établir « les éléments de fait » laissant supposer l’existence d’un harcèlement. À charge alors pour l’employeur de prouver que ces agissements ne constituent pas du harcèlement sexuel et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge peut également décider d’ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles pour former sa conviction. Cependant, dans sa décision du 12 janvier 2002 , le Conseil Constitutionnel adopte deux strictes « réserves d’interprétation » :  Sur le plan pénal, la réserve vaut annulation : « Ces règles ne sont pas applicables en droit pénal et ne sauraient en conséquence avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte au principe de présomption d’innocence ».  Sur le plan civil, « les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse ne sauraient dispenser celle-ci d’établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu’elle présente au soutien de son allégation ».

Les réserves du Conseil Constitutionnel sont intégrées par la loi du 3 janvier 2003 qui a donc unifié le droit de la preuve en la matière. L’article L122-52 [L.1154-1] du Code du Travail devient :

« Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

La loi de modernisation sociale va également modifier l’article 222-33 du Code Pénal, afin d’harmoniser le Code du travail et le droit de la fonction publique avec le Code pénal. L’article 222-33 va ainsi devenir, via le vote d’un amendement déposé en deuxième lecture au Sénat le 17 janvier 2002 : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». En fait, il s’agit surtout de ne pas créer de régime trop différent entre les délits de harcèlement moral et de harcèlement sexuel.

Mais « le fait de harceler » sera toujours jugé à l’aune de l’intentionnalité du harceleur (« dans le but d’obtenir ») non défini par la loi et donc dépendant des interprétations jurisprudentielles, voir de l’analyse subjectives des magistrats . Il en va de même pour le but poursuivi, à savoir « les faveurs de nature sexuelle ».

Quinze ans après la première loi contre le harcèlement sexuel, le nombre de contentieux relatifs au harcèlement sexuel reste rare, et le nombre de condamnations pénales très faible entre 2001 et 2005 , avec une cinquantaine annuellement (34 en 2001, 24 en 2002, 27 en 2003, 47 en 2004 et 47 en 2005). A titre de comparaison, il y eu aux Etats-Unis, en 2000, 15 836 procès pour harcèlement sexuel . Parmi les multiples raisons qui peuvent expliquer ce chiffre, il y le risque de l’interprétation de la loi par les magistrats. Un risque de relaxe pour l’agresseur, mais aussi un risque de poursuites en dénonciation calomnieuse qui, selon l’AVFT , est croissant. L’association organise d’ailleurs des campagnes auprès du législateur afin de modifier le délit de dénonciation calomnieuse. En effet, l’article 226-10 du Code pénal permet les condamnations des femmes victimes de violences sexuelles et déboutées de leur plainte par une ordonnance de non-lieu ou par une décision de relaxe de l’auteur des violences désigné. Elles sont ensuite condamnées pour dénonciation calomnieuse en violation du principe de la présomption d’innocence. C’est évidemment un frein pour les victimes qui souhaitent porter plainte.

f) Loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations

En deux années 2007 et 2008, la France a reçu de la Commission européenne trois procédures d’action en manquement et deux mises en demeure, en date du 21 mars 2007, a propos de la mauvaise transposition de plusieurs directives liées à la lutte contre les discriminations ou à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes . Dans l’indifférence la plus totale des médias mais également des syndicats, le gouvernement a donc fait voter en urgence (une seule lecture devant l’Assemblée nationale et le Sénat) une nouvelle transposition de la directive 2002/73/CE qui revoit notamment la définition de la discrimination directe, de la discrimination indirecte et du harcèlement sexuel en droit français.

Alors que le gouvernement aurait pu reprendre la Directive d’origine qui définit précisément le harcèlement sexuel, il a préféré répondre un par un aux griefs de la Commission européenne , celle-ci ayant considéré que la transposition française n’était pas correcte sur plusieurs points :

- la notion d’agissements répétés pour le harcèlement (contrairement à la CE qui reconnaît un acte isolé comme possiblement du harcèlement) ;
- le harcèlement n’était pas considéré par le droit français comme une forme de discrimination ;
- la notion de « dégradation des conditions de travail » risque d’être perçue et appliquée de façon plus restrictive que la notion communautaire d’« environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Toutes ces remarques ont trouvé une réponse dans la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 sans pour autant satisfaire aux demandes des associations qui souhaitaient une définition précise du harcèlement sexuel et l’harmonisation des définitions entre le code pénal, le code du travail et le droit communautaire, afin de lever les ambiguïtés qu’elles suscitent. Dans son rapport fait au nom de la commission des affaires sociales déposé le 2 avril 2008, Muguette DINI déclarait ainsi à propos du projet de loi : « Plutôt que d’intégrer la définition communautaire du harcèlement au droit national, le présent projet installe donc la définition communautaire à côté de la définition française, renvoyant à l’autorité judiciaire le soin de trancher les problèmes juridiques soulevés par cette coexistence de définitions ».

La définition européenne du harcèlement sexuel n’est finalement toujours pas transposée en droit français...

Avant la Loi du 6 août 2012 relatif au Harcèlement sexuel, les articles du Code du Travail et du Code pénal étaient :

Code du travail :

- Article L1153-1

Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits.

- Article L1153-2

Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel.

- Article L1153-3

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés.

- Article L1153-4

Toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-3 est nul.

- Article L1153-5

L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement sexuel.

- Article L1153-6

Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire.

- Article L4612-3

Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail contribue à la promotion de la prévention des risques professionnels dans l’établissement et suscite toute initiative qu’il estime utile dans cette perspective. Il peut proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral et du harcèlement sexuel. Le refus de l’employeur est motivé.

Code pénal

- Article 222-33

Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende.

- Article 222-33-1

Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues par l’article 121-2 des infractions définies aux articles 222-22 à 222-31.
Les peines encourues par les personnes morales sont :
1° L’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-38 ;
2° Les peines mentionnées à l’article 131-39.
L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.

Contact  |  Mentions légales  |  Plan du site